Le système Lean
En 1990 est paru le livre de James Womack, directeur de recherche au MIT, signé avec deux collaborateurs, Daniel James et Daniel Roos : The Machine That Changed the World. C’était une description de la vision par ces trois Américains du mode de management de Toyota, intitulé par eux : Lean Management. Lean signifie maigre ; il s’agissait donc pour eux d’éliminer les gaspillages.
En France, comme aux Etats-Unis, des cabinets de conseil se sont mis à vendre cette méthode de management. Womack lui-même a fondé en 1997 le Lean Enterprise Institute et publié d’autres ouvrages sur le sujet. On peut voir actuellement sur Internet de nombreuses annonces pour des stages de formation au Lean Management.
Womack a commencé à étudier le management de Toyota en 1983 lorsque le MIT l’a nommé directeur de recherche d’un programme international d’étude sur l’industrie automobile. Le but était de comparer par des méthodes de benchmarking une usine General Motors en Californie, une usine Renault en France (Flins) et une usine Toyota au Japon. Il a participé en 1986 à la rédaction d’un rapport qui utilisait pour la première fois le terme : Lean Production. Il a reçu de vifs encouragements de Louis Schweitzer, PDG de Renault, ce qui l’a certainement incité à écrire son livre.
Womack a pu observer en détail le management de Toyota en 1985 quand un accord a été conclu entre Toyota et General Motors. Toyota a pris pendant quelques années le contrôle de l’usine de General Motors située à Fremont (Californie). Les résultats ont été spectaculaires mais ils se sont effondrés quand General Motors a pris à nouveau le contrôle. L’usine a été fermée.
Womack a donc fidèlement rendu compte des outils pratiqués à Fremont par les Japonais, mais sans rien comprendre à l’esprit qui anime le groupe Toyota. Lorsque Monsieur Shoichiro Toyoda, directeur général de Toyota, a reçu le Deming Prize en 1980, il a déclaré : « There is not a day I don't think about what Dr. Deming meant to us. Deming is the core of our management. » (Il ne se passe pas un jour sans que je pense à ce que le Dr. Deming signifiait pour nous. Deming est le cœur de notre management).
Ce n’est certainement pas au moyen de cures d’amaigrissement que le groupe Toyota est devenu le premier producteur mondial d’automobiles.
Néanmoins tout n’est pas inutile dans les méthodes enseignées en France par les adeptes du Lean Management ; ce sont plutôt des méthodes de résolution de problèmes à l’usage de spécialistes.
Comment faire baisser le chômage…
Toute les prévisions de baisse du chômage étaient fausses. En réalité, le taux de chômage en France est stable depuis plusieurs années, autour de dix pour cent. Observer la courbe du chômage et voir dans cette courbe le signe d’une prochaine baisse du chômage ne sert à rien tant que ce taux est stable, au sens de la théorie des variations de Shewhart. Autant demander des prévisions à une voyante extralucide. Comprenne qui pourra !
Des millions de chômeurs attendent que des entreprises leur proposent un contrat de travail. La France compte trois millions d’entreprises, parmi lesquelles 170.000 ont plus de dix salariés. Nous pensons que ce sont principalement ces entreprises qui peuvent faire baisser le chômage, en raison de leurs compétences.
Une entreprise n’envisage de recruter de nouveaux collaborateurs que si elle reçoit des commandes en plus grand nombre, ou du moins si le marché permet de l’espérer. Tant que le marché est stable, les entreprises n’ont aucune raison de recruter ; elles ont même tendance à comprimer le personnel, pour faire des économies.
Réformer le code du travail, c’est bien. Réduire les charges, c’est bien. Améliorer la formation professionnelle, c’est bien. Mais ce ne sont que des moyens donnés par l’Etat aux entreprises françaises pour qu’elles améliorent leurs performances ; des moyens qui leur permettront d’offrir à leurs clients des produits et des services de meilleure qualité. Leur carnet de commande ne se remplira qu'à cette condition. C’est une question de management.
Post scriptum le 13 septembre 2017
Ce matin, la ministre du Travail, Madame Pénicaud, a expliqué à la télévision comment la réforme du code du travail facilitera l’embauche dans les entreprises. Mais elle n’a pas dit comment une entreprise peut créer des emplois : elle ne le sait pas ; ce n'est pas son domaine de compétence. Elle a parlé de performance économique : c’est vague. Elle n’a pas prononcé le mot magique « carnet de commande » que l’on entend partout. Car c’est bien ça le problème : comment remplir le carnet de commande ? Elle sait bien, comme le Président et le Premier ministre, que c’est l’affaire des entreprises.
La clé de l’emploi est dans le management. C'est ce que Deming explique dans Hors de la Crise. Voir : La Réaction en Chaîne, page 21.
La Souterraine
Après plusieurs années difficiles, l’entreprise GM&S située à La Souterraine (Creuse) a été mise en redressement judiciaire le 13 décembre 2016. L’usine est menacée de fermeture. Les salariés se sont mobilisés et ont réussi à faire parler d’eux dans la presse en menaçant de tout faire sauter avec des bonbonnes de gaz. Ils ont obtenu que le tribunal de commerce de Poitiers prolonge la période d'observation de l’entreprise jusqu'au 30 juin, ce qui permettra au propriétaire d'examiner deux offres de reprise.
La presse nous apprend que le chiffre d'affaires de GM&S a été divisé par deux depuis quatre ans et que plusieurs clients, tels que Renault, se sont désengagés. Aujourd'hui, la moitié des commandes est assurée par PSA. Or le fait de dépendre d'un grand donneur d'ordres peut devenir catastrophique s’il vous abandonne. Il est donc urgent que GM&S reçoive des commandes sous peine de fermer l’usine et de licencier tout le personnel.
GM&S est une société dont l’activité est le découpage et l’emboutissage. L’usine fabrique des pièces métalliques en grande série. Interrogés à la télévision, les ouvriers ne comprennent pas pourquoi des clients sont partis, alors que l’usine a toujours fait des produits de bonne qualité, pensent-ils.
C’est bien ça le problème : pourquoi tant de clients sont partis ?
Une grande entreprise a des milliers de fournisseurs. Les commandes sont passées par des acheteurs, principalement en fonction de la qualité et du prix. Difficile de choisir entre plusieurs fournisseurs d’une même pièce. Alors l’acheteur se renseigne auprès de l’usine qui utilise la pièce : « avec ce fournisseur, avez-vous rencontré des problèmes de non-conformité, des problèmes administratifs, des problèmes d’approvisionnement ? » Ce sont de tels détails qui font la différence. Les ouvriers de GM&S ne le savent pas. Comment pourraient-ils le savoir ?
Pour qu’une entreprise garde ses clients, il ne suffit pas que les salariés soient compétents et pleins de bonne volonté. Il faut que le dirigeant sache diriger. Autrement dit, il faut que l’entreprise ait un bon management. L’emboutissage est un métier difficile qui est soumis à une forte concurrence. Il faut savoir que plusieurs entreprises françaises dans ce secteur réussissent, face à la concurrence internationale, parce qu’elles travaillent avec ordre et méthode. L’enjeu est d’offrir aux donneurs d’ordres des produits toujours meilleurs et toujours moins chers.
Comment créer des emplois
La fermeture de l’usine Whirlpool à Amiens, après celle de l’usine Continental à Clairoix et de beaucoup d’autres usines françaises au cours des vingt dernières années, nous rappelle une fois de plus que les entreprises ont une logique de rentabilité.
La direction d’une entreprise cherche toujours à faire des bénéfices, ou du moins à équilibrer ses comptes. C’est son but. Pour équilibrer ses comptes, il faut qu’elle ait des commandes, qu’elle en ait suffisamment. Pour avoir des commandes, il faut qu’elle offre des produits et des services de bonne qualité à des prix compétitifs. C’est pourquoi la direction de Whirlpool fermera son usine française qui fabrique des sèche-linge pour transférer toute la production à Lodz, en Pologne, où les salaires des ouvriers sont quatre fois plus faibles.
La « Réaction en chaîne de Deming », qui commence avec l’amélioration de la qualité et se termine avec la création d’emplois, devrait être connue de tous les experts qui viennent nous parler du chômage à la télévision. Créer des emplois, c’est évidemment la responsabilité des entreprises, pas du gouvernement. La balance du commerce extérieur est un bon indicateur de l’aptitude des entreprises françaises à offrir des produits et des services de bonne qualité à des prix compétitifs, par conséquent leur aptitude à créer des emplois, ou du moins à ne pas en détruire. En 2016, la France a enregistré un solde négatif de 48 milliards d’euros pour un PIB de 2.000 milliards d’euros. Les pessimistes, ceux qui voient toujours un verre à moitié vide, diront que c’est un mauvais résultat. Les optimistes, ceux qui voient toujours un verre à moitié plein, diront que c’est un résultat honorable. La France a des milliers d’entreprises qui exportent leurs produits dans le monde entier grâce à un bon management. Nous pourrions en citer plusieurs qui sont excellentes dans l’aéronautique, l’automobile, l’agroalimentaire, le luxe, les jeux vidéo…
En revanche, la France souffre d’un mouvement de désindustrialisation qui a commencé dans les années 1980. A cette époque, les dirigeants industriels se sont résignés à laisser à d’autres pays du monde, notamment au Japon et à l’Allemagne, la production de tout ce qui semblait trop difficile aux entreprises françaises. Les grandes écoles ont accompagné le mouvement, les jeunes diplômés cherchant de moins en moins à se faire embaucher par des entreprises de production pour se diriger vers des métiers du tertiaire. C’est ainsi que sont apparues des friches industrielles dans les régions qui enregistrent actuellement les plus forts taux de chômage.
Dans l’immédiat, il faut aider les chômeurs à trouver du travail en passant d'abord par l’apprentissage d’un nouveau métier. Malheureusement, tous ne trouveront pas du travail dans les entreprises qui existent actuellement. Il faut donc favoriser la création d’entreprises. De nombreuses petites entreprises, des « start-up », apparaissent dans le numérique. Mais elles ne créent pas beaucoup d’emplois. Il faut donc favoriser la création d’entreprises innovantes qui font « de vrais produits », car elles ont besoin d’une main d’oeuvre plus abondante. C’est un programme à long terme.
Post scriptum le 24 mai 2017
Les dirigeants nationaux et régionaux des organisations patronales sont aussi des dirigeants d'entreprises. Il serait important que leurs entreprises soient exemplaires en termes de résultats financiers, de qualité et d'innovation.
Rapport qualité prix
On ignore souvent que le remplacement du franc par l’euro a poussé un grand nombre d’entreprises françaises à améliorer la qualité de leurs produits.
De 1958 à 1988, le franc a été dévalué à huit reprises. Au total, pendant cette période, le franc a perdu 72% de sa valeur par rapport au mark. Chacune de ces dévaluations avait pour but d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises face à la concurrence étrangère, car elle provoquait automatiquement l’augmentation des prix des produits importés, ce qui incitait les consommateurs à acheter de préférence des produits made in France, même s’ils étaient de qualité médiocre. Mais cet avantage s’atténuait progressivement en raison de l’inflation et une nouvelle dévaluation était nécessaire quelques années plus tard.
Plusieurs grandes marques françaises, notamment dans l’audiovisuel et l’électro-ménager, ont bénéficié de la dévaluation du franc à partir de 1958. Certaines ont disparu, d’autres appartiennent maintenant à des sociétés étrangères. Les produits en question étaient de qualité médiocre, mais ils n’étaient pas chers. Par conséquent les acheteurs étaient le plus souvent des personnes aux revenus modestes. On trouvait aussi des produits allemands d’excellente qualité, mais ils étaient plus chers. Les acheteurs étaient donc le plus souvent des personnes aisées. Dans les deux cas, l’achat était déterminé par une évaluation du rapport qualité prix. Pour un rapport qualité prix équivalent, on trouvait des produits « bas de gamme » et des produits « hauts de gamme ». Cette situation existe toujours, mais les prix des produits français et allemands sont maintenant tous les deux en euros.
Les patrons français croyaient depuis longtemps que la qualité coûte cher, une idée très répandue. Dans leur esprit, « faire de la qualité » dans une entreprise, c’était multiplier les contrôles et les réparations, ce qui augmentait évidemment le coût de production. Cette idée est totalement fausse. Au contraire, Deming avait expliqué aux patrons japonais en 1950 que le coût de production diminue en même temps que la qualité s’améliore, parce qu’il y a moins de gaspillages. Ceux-ci l’ont écouté et ont mis aussitôt ses conseils en pratique. Les résultats ont dépassé leurs espérances.
Depuis que la France est dans la zone euro, l’Etat ne peut pas aider les entreprises, comme autrefois, en dévaluant sa monnaie. Les entreprises qui n’ont pas assimilé les méthodes de management de la qualité sont vouées à disparaître, faute de rester compétitives sur le marché international.
Burn-out
La question du burn-out, qui peut se traduire par « épuisement professionnel », a pris une grande ampleur le 15 février dans le champ médiatique, à la suite du rapport d’une mission parlementaire à la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Cette mission parlementaire propose que le burn-out soit reconnu comme maladie professionnelle. Elle propose aussi la création d'une agence nationale de la santé psychique au travail.
Différentes études ont mis en évidence plusieurs facteurs concomitants :
Facteurs individuels : fragilité émotionnelle, problèmes d’adaptation, etc.
Facteurs professionnels : surcharge de travail, manque d’autonomie, exigences contradictoires, etc.
Le nombre de personnes atteintes de burn-out a considérablement augmenté en France depuis une vingtaine d’années. Les facteurs individuels ne sont pas en cause, car la psychologie humaine n'évolue guère en si peu de temps. Il faut donc retenir exclusivement les facteurs professionnels, quoique certains patrons soutiennent mordicus que si les salariés ont du mal à s’adapter à de nouvelles formes de travail, c’est bien de leur faute.
Les parlementaires citent « les nouvelles formes de management et d'organisation du travail » qui ont transformé en profondeur le quotidien de millions de salariés. Ils pointent également du doigt le rôle des « nouvelles technologies » qui ont accéléré le mouvement, en liant les individus à leur travail bien au-delà du temps réel passé dans l'entreprise. Ils estiment qu'il faut favoriser la mise en oeuvre d'organisations du travail en entreprise qui soient à la fois « bienveillantes et performantes ». En conclusion, ils recommandent aux entreprises de réviser leur politique managériale.
C’est ce que notre association demande depuis longtemps, mais rien ne change. Or les méthodes de management d’une entreprise ne sont pas imposées de l’extérieur. Les hauts dirigeants en sont les seuls responsables.
Compétitivité en hausse
Sous le titre L'industrie retrouve de la compétitivité, L’Usine Nouvelle vient de publier le résultat d’une enquête réalisé en partenariat avec Deloitte auprès de 509 dirigeants d’entreprise. En 2016, huit industriels sur dix, dans tous les secteurs, estiment que leur entreprise est compétitive. Les deux tiers d’entre eux prévoient que leur compétitivité continuera de s’améliorer en 2017 grâce à des projets qui sont en cours. Ces industriels estiment que le principaux facteurs de leurs bonnes performances sont la motivation, l’implication et le bien-être des salariés. Ils pensent que c’est dans le type de management pratiqué dans l’entreprise que se trouve la véritable clé de la compétitivité. Nous le pensons également.
En 2013, notre association a mis en ligne un document de 130 pages qui a été téléchargé plus de cent mille fois et qui continue sur sa lancée au rythme d’un millier de téléchargements par semaine. C’est le Manuel du contrôle statistique de la qualité de Western Electric. Il a été publié pour la première fois en 1956 pour la formation du personnel de cette entreprise, filiale de AT&T, la plus grande société mondiale de télécommunications, et réédité dix fois jusqu’en 1985. Il présente dans un langage simple les techniques et les méthodes qui se sont avérées les plus utiles pour le succès des programmes d’amélioration de la qualité depuis leur mise au point par Shewhart dans les années 1920. Il est utilisé avec succès par des centaines d’entreprises françaises. Nous pensons qu'il a joué un grand rôle dans l'amélioration de leur compétitivité.
Le 19 août 1980, Deming avait été entendu par la Commission des Finances du Congrès des Etats-Unis. Ses déclarations sont saisissantes quand on les lit aujourd'hui, car il dit tout ce que les entreprises américaines auraient dû faire et qu’elles n’ont pas fait. Il explique le succès des entreprises japonaises par le désir d'apprendre de tous leurs dirigeants. Il dit en particulier : « Le contrôle statistique de la qualité n’est pas fait pour les gens tièdes et timides. Le seul moyen d’apprendre est d’agir tout en apprenant. Vous pouvez lire des livres sur la natation, mais si c’est votre seul moyen d’apprendre, vous risquez de vous noyer ».
Un réseau social pour la qualité
Rappel historique.
Le "Total Quality Control", devenu plus tard le " Total Quality Management", a été introduit au Japon en 1950 par Deming. L’association des scientifiques et ingénieurs japonais (JUSE) a formé aussitôt un groupe d’études sur le TQC dirigé par Kaoru Ishikawa, le célèbre inventeur du diagramme de cause à effet qui porte son nom.
En 1956, Ishikawa lance un cours de TQC sur les ondes de la radio nationale. Des milliers d’ingénieurs, de techniciens et de contremaîtres écoutent ce cours le matin, chez eux, avant de partir au travail. Cette année-là, Ishikawa pense déjà à l’ultime étape de la qualité dans les entreprises : la formation des ouvriers. Jamais, dans aucun pays, la direction d’une entreprise n’avait donné à des ouvriers la possibilité de participer au management. C’est un projet difficile qui risque d’échapper au contrôle de la hiérarchie. Ishikawa pense qu’il faut confier la formation des ouvriers à la hiérarchie elle-même et lui donner une assistance permanente. Pour cela, une revue mensuelle sera publiée par la JUSE sous le titre "Gemba to QC" (contrôle de la qualité chez les contremaîtres). Le premier numéro paraît en avril 1962 et connaît une large diffusion dans les entreprises. Dans son éditorial, Ishikawa invite les contremaîtres à former des petits groupes d’ouvriers volontaires nommés “QC Circles“ (cercles de contrôle de la qualité) pour étudier les méthodes qui ont été mises au point par la JUSE (les sept outils de la qualité). Il leur annonce la création d’un centre national des cercles de QC et leur demande de lui écrire pour lui signaler la formation de cercles de QC. En 1980 la JUSE en comptait cent mille.
Cette revue, dans laquelle les cercles de QC partageaient leur expérience, fut l’élément moteur d’un véritable réseau social qui a fait faire des progrès extraordinaires aux entreprises japonaises, en termes de qualité et de productivité.
Post scriptum le 10 novembre 2016
L'élection de Donald Trump nous a sidérés. Nous tenons cependant à rappeler que Deming a non seulement proposé un nouveau type de management pour améliorer les performances des entreprises, mais aussi qu'il a décrit avec une précision chirurgicale les maladies dont elles sont victimes. Le désastre humain provoqué par le management des entreprises américaines est sans doute l'une des principales causes de la colère des citoyens américains. La lecture ou la relecture de Hors de la crise est plus que jamais nécessaire pour guérir ces maladies.
L’entreprise responsable
Le concept de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) s’est imposé en France depuis une vingtaine d’années en raison des exigences des organisations humanitaires pour que les entreprises prennent en considération les conséquences sociales, économiques et environnementales de leurs activités. Un rapport annuel sur la RSE est demandé aux grandes entreprises par la « Loi Grenelle II » du 12 juillet 2010. La norme ISO-26000 en présente les lignes directrices.
La RSE occupe maintenant un chapitre entier du rapport annuel aux actionnaires des grandes entreprises. Il ne faudrait cependant pas oublier que la première responsabilité d’une entreprise française est d’offrir des produits et des services d’une qualité irréprochable pour un prix acceptable, des produits et des services toujours meilleurs, des prix toujours plus faibles, en un mot d’être compétitive sur le marché international.
La méthode la plus sûre pour y parvenir est de suivre les recommandations formulées par Deming dans ses « Quatorze Points », en particulier :
- Rompre avec la philosophie taylorienne (point 2)
- Donner à tous les salariés une formation professionnelle (point 6)
- Faire travailler les départements dans un climat de coopération (point 8)
- Abandonner le management par objectifs (point 11)
- Faire en sorte que les salariés soient fiers de leur travail (point 12)
Nous invitons les directeurs et les chefs de département de toutes les entreprises à observer ces recommandations.
Post scriptum le 2 septembre 2016
Le Medef a tenu son université d’été les 30 et 31 août à Jouy-en-Josas, sur le campus d’HEC. Tous les candidats à l’élection présidentielle qui étaient invités ont promis ce que leur demandait Pierre Gattaz, notamment une baisse massive des charges des entreprises et le déverrouillage du marché du travail. Les membres du Medef qui étaient présents devraient faire un examen de conscience pour essayer de comprendre les causes de la faible compétitivité de leurs entreprises, car ils estiment qu'elles sont pénalisées surtout par des charges excessives et un marché du travail trop rigide. Or les mauvaises performances d'une entreprise sont dues généralement à un mauvais management.
Le pape de la qualité totale
Toutes les sciences ont leurs pères fondateurs. Par exemple, chacun sait que Sigmund Freund (1856-1939) est l’un des pères fondateurs de la psychanalyse. De même, William Edwards Deming (1900-1993) est reconnu dans les entreprises comme étant l’un des pères fondateurs du management moderne. Dans un très bel article publié en juin 1992, l’écrivain Daniel Rondeau présente Deming comme « le pape de la qualité totale », faisant ainsi allusion au titre Total Quality Management donné par les industriels japonais à la doctrine que Deming leur a enseignée après la seconde guerre mondiale.
En disant que c’est « un système de management qui assure à chacun la fierté de son travail », Daniel Rondeau a saisi l’essentiel de la philosophie de Deming. La question est actuellement à l’ordre du jour. En effet, depuis quelques années, des psychologues et des professeurs d’université qui se disent spécialistes du management écrivent des livres et des articles pour vanter les nouveaux principes qu’ils auraient inventés afin d’assurer « le bonheur au travail ». On a même vu sur Arte, l’année dernière, un professeur de l’ESCP faire la promotion de son livre, dont c’est précisément le sujet. Pas un mot sur Deming. La fierté du travail et le bonheur au travail sont naturellement deux idées différentes, mais comment peut-on être heureux au travail alors qu’on n’est pas fier de son travail ? La fierté du travail précède le bonheur au travail.
Ces prétendus spécialistes du management ne parlent que d’horaires de travail, d’aménagements de bureaux et d’échelons hiérarchiques, en laissant totalement sous silence la fierté d’un travail bien fait, ce sentiment qui, depuis le moyen-âge, est le secret des plus belles réalisations. Pas étonnant que la philosophie de Deming ne les intéresse pas. Mais les entreprises qu’ils présentent comme des exemples de réussite de leurs nouveaux principes ont un trait commun : tous leurs salariés connaissent les objectifs de la direction générale, n’ont pas d’objectifs individuels et ne travaillent pas sous la menace de sanctions en cas de mauvais résultats. Par conséquent, si nous demandions à chacun de ces salariés comment il pense que son entreprise respecte les 14 points de Deming, il est probable que nous aurions un certain nombre de réponses positives.
Malheureusement, ces entreprises ne représentent qu’une faible partie du chiffre d’affaires total de l’industrie française. Pour la plupart de nos entreprises, les dirigeants qui souhaitent améliorer les résultats financiers et conquérir de nouvelles parts de marché devraient s’intéresser sérieusement à la philosophie de Deming, lui qui déclarait à Paris en novembre 1980 devant un millier de personnes, en conclusion de son discours : « Make shareholders happier, customers happier, employees happier ».
Post scriptum, le 17 mai 2016
Le professeur de l'ESCP Europe dont nous avons parlé ici ne peut pas ignorer l'enseignement de Deming, car il est titulaire d'un master en management. Le cas du journaliste français qui a écrit « Le bonheur au travail » est différent. Quand il recommande « la suppression de toute hiérarchie intermédiaire doublée d'une autonomie totale des salariés à propos des décisions prises pour améliorer leur productivité » on voit bien qu'il n'a aucune connaissance de Deming.
Cartes de contrôle et autres antiquités
Les ingénieurs en retraite se souviennent peut-être de la mode des cartes de contrôle apparue dans les années 60. Il s’agissait d’une méthode statistique destinée à contrôler les fabrications. On trouve encore aujourd’hui des professeurs d’université et des consultants qui expliquent cette méthode, à leur façon.
Tout a commencé avec un livre publié en 1953 : « Le contrôle statistique des fabrications ». L’auteur, René Cavé, avait été envoyé en mission aux Etats-Unis l’année précédente par le gouvernement français pour étudier les méthodes de l’industrie américaine. Il avait discuté avec des ingénieurs de l’American Society for Quality Control qui lui avaient expliqué comment Walter Shewhart avait inventé une nouvelle méthode pour améliorer la qualité des produits tout en réduisant les coûts de production grâce à un outil nommé « Control chart ».
René Cavé n’avait pas compris que la méthode de Shewhart avait pour but de mettre le management de l’entreprise sur la piste des véritables causes des défauts trouvés en production. Comme tous les Français de sa génération, il croyait que la cause d'un défaut se trouve forcément dans l’atelier qui a produit la pièce défectueuse, alors qu'elle peut venir d'ailleurs, par exemple d'un fournisseur ou d'un bureau d'études. Il était resté dans la logique de Taylor, qui pousse à réagir le plus vite possible pour corriger un défaut, sans prendre le temps de bien étudier la situation. Fin mathématicien issu d’une grande école, il avait même proposé dans son livre une amélioration à ce qu’il croyait être la méthode de Shewhart. Et comme il n’était pas fort en anglais, ce qui est toujours le cas en France d'un grand nombre d'hommes politiques et de fonctionnaires, il avait traduit le titre par « Carte de contrôle », ce qui peut laisser croire à un lecteur superficiel qu’il ne s’agit pas d’un graphique permettant d’observer une succession de résultats de mesure mais d’un simple morceau de papier.
C’est beaucoup plus tard, grâce à Deming, que des entreprises françaises, malheureusement trop peu nombreuses, ont compris l’importance des graphiques de contrôle de Shewhart. Les entreprises japonaises avaient adopté cette méthode dès la fin de la deuxième guerre mondiale, ce qui a fait leur succès sur le marché international.
Quand on cherche actuellement sur Internet "Cartes de contrôle", on trouve de nombreux sites qui racontent n'importe quoi sur cet outil très important dans l'industrie pour obtenir une bonne qualité en production. C'est absolument lamentable. Nous conseillons à nos lecteurs de revenir aux sources.
Le code du travail ne suffit pas
Réformer le code du travail pour donner une meilleure sécurité aux patrons et aux salariés, c’est une bonne chose. Il faut espérer que le projet gouvernemental aboutira à un résultat satisfaisant et que la loi sera votée.
Il serait mieux encore de réformer le management des entreprises françaises en écoutant les conseils de Deming. Une telle réforme serait à coup sûr le meilleur moyen de relancer l’économie et de créer des emplois. Malheureusement aucune loi ne peut contraindre les patrons à adopter de nouvelles méthodes de management. C’est pourquoi nous lançons un appel aux patrons des 15.000 entreprises françaises de plus de cent salariés en leur demandant de réfléchir aux méthodes préconisées par Deming. Dans plusieurs entreprises de l’Hexagone, ces méthodes ont fait leurs preuves.
Il faudrait que les patrons cessent de diriger des gens terrorisés à l’idée de perdre leur emploi, alors qu'ils font généralement de leur mieux pour contribuer au succès de l’entreprise. Il faudrait rétablir la confiance. Deming a fait pour cela 14 recommandations aux patrons. Nous en avons choisi trois qui peuvent déjà améliorer rapidement la compétitivité de l'entreprise et lui permettre d'embaucher de nouveaux salariés.
La première recommandation est de fixer les objectifs généraux de l’entreprise et de les faire connaître à tous les salariés. Il faut abandonner la méthode dite abusivement "management par objectifs" qui consiste à donner à chaque salarié des objectifs particuliers supposés répondre à des objectifs généraux. Chacun doit trouver par lui-même, en parlant avec son supérieur, les meilleurs moyens de contribuer à la réussite des objectifs généraux de l’entreprise. La seconde recommandation est de viser une amélioration permanente de tous les processus, en sachant qu’une bonne qualité est la conséquence normale de processus qui sont bien maîtrisés. La troisième recommandation est de donner aux salariés une formation professionnelle permanente, confiée soit à des salariés plus anciens dans le métier, soit à des organismes extérieurs. Ce sont, à notre avis, les trois points essentiels de l’enseignement de Deming.
En matière de management, la façon de distribuer les salaires et les primes est une question qui préoccupe tout le monde. La méthode la plus courante, dite "salaire au mérite", consiste à gratifier chaque salarié d’une prime ou d’une augmentation de salaire en fonction de ses résultats. Mais nul n’ignore que la chance peut jouer un grand rôle dans les résultats. Par exemple dans un magasin de vêtements, un vendeur peut voir le montant de ses ventes diminuer sensiblement sans cause apparente. L’expérience des billes rouges de Deming montre que cette méthode conduit toujours à des injustices et à des frustrations. Une meilleure méthode consiste à tenir compte de la bonne volonté du salarié, de sa compétence et de son aptitude à contribuer à la réussite des objectifs de l’entreprise.
Un mot, pour terminer, sur les actions d’amélioration de la qualité que l’on peut voir dans beaucoup d'entreprises. Elles sont habituellement organisées et coordonnées par un responsable qui a reçu pour cela une formation particulière. Elles ne peuvent réussir que si ce responsable est fermement soutenu par la direction.
Du nouveau en économie
Quand des spécialistes discutent de l’économie, il est généralement question de volumes de production, de mouvements financiers, de cours des matières premières, etc. Le titre du livre de Deming sorti en 1996, Du nouveau en économie, devait donc sembler étrange aux yeux des lecteurs, puisqu’il ne traitait que du management des entreprises.
Pourtant, à y regarder de près, les théories de management de Deming, bien que les économistes n’en parlent jamais, ont joué un grand rôle dans la transformation de l’économie mondiale. Elles ont donné aux entreprises asiatiques un avantage considérable sur les entreprises occidentales, par exemple dans le secteur automobile. Les économistes occidentaux, naturellement, peuvent trouver d’autres raisons à cette grande compétitivité, notamment le prix de la main d’oeuvre. Mais alors comment expliquer que les plus importantes innovations technologiques apparues au cours des vingt dernières années proviennent du Japon?
Voyant le danger, des consultants américains, professeurs d’université, ont cherché à copier les méthodes qui faisaient le succès des entreprises japonaises, mais sans en saisir l’état d’esprit, sans comprendre en particulier que le MBO (Management By Objectives) faisait des ravages en Amérique. C’est ainsi que sont apparues dans les entreprises occidentales plusieurs" modes managériales" qui ont encore des adeptes : les Cercles de qualité en 1978 ; le Re-engineering en 1989 ; le Six-Sigma en 1990 ; le Lean Management en 1993.
Les théories de Deming vont à l’encontre des méthodes préconisées par ces consultants. Pour s’en convaincre, il suffit de lire son dernier livre. Le lecteur comprendra alors que ces méthodes, qui ne sont finalement rien d’autre que des méthodes de résolution de problèmes, ne constituent pas l’essentiel de ce qui fait le succès des entreprises japonaises. Le président de Toyota a déclaré en en novembre 1991 devant des journalistes : « Dr. Deming’s theories form the foundation of our management ».
Post scriptum, le 30 janvier 2016
Malheureusement, le "Management par Objectifs" est un dogme qui est enseigné dans les plus prestigieuses écoles de commerce et mis en place dans de nombreuses entreprises par des cabinets de conseil grassement payés. Il serait plus juste de nommer cette pratique "Management par la Peur". Des articles et des livres ont montré qu'elle est nuisible sur le plan humain et contre-productive sur le plan économique.
Le pacte de responsabilité
L’année 2015 s’est terminée sans que le niveau du chômage amorce la moindre baisse, malgré les espoirs qu’avait fait naître le pacte de responsabilité annoncé en janvier 2014 par François Hollande. On se souvient qu'il avait été précédé, en novembre 2012, par un « pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi ». Ce nouveau pacte va réduire le coût du travail de 30 milliards d'euros d’ici 2016, en échange d’une augmentation des embauches par les entreprises. Les effets se feront-ils sentir en 2016 ?
Le lien entre le coût du travail et l’embauche de salariés passe par la compétitivité, ainsi que Deming l’avait souligné dans son livre Quality Productivity and Competitive Position, publié en 1983 par le MIT. C’est, disait-il, une réaction en chaîne : (1) l’entreprise améliore la qualité ; (2) les coûts diminuent parce qu'il y a moins d'erreurs et moins de retards ; (3) les machines et les matériaux sont mieux utilisés ; (4) la productivité augmente ; (5) l’entreprise gagne des parts de marché grâce à une meilleure qualité et un prix plus faible ; (6) elle crée des emplois.
Le président du Medef, Monsieur Pierre Gattaz, ne connaissait pas ce processus lorsqu’il il a prévu en 2014 que le taux de chômage baisserait de 10 % en échange des trente milliards d’euros promis aux entreprises par le gouvernement pour alléger le coût de travail. Quel usage peuvent-elles faire de cette manne financière ? Les unes vont en profiter pour augmenter les dividendes et les rémunérations des cadres dirigeants. Les autres vont investir pour innover et pour améliorer leur appareil de production. Dans ce cas, qui est évidemment le plus favorable, elles ne pourront augmenter le nombre de leurs salariés qu’à partir du jour où elles verront leur chiffre d’affaires augmenter de façon significative.
Mais un investissement productif ne conduit pas nécessairement à une augmentation du chiffre d’affaires. On ne compte plus les usines qui ferment, malgré des équipements modernes, parce que leurs produits ne trouvent pas assez de clients sur le marché international. C’est pourquoi notre association a mis gratuitement en ligne, dès 2013, le manuel de formation au Contrôle Statistique de la Qualité édité en 1956 par la société Western Electric. Cet ouvrage décrit avec précision la méthode qui a fait le succès des plus grandes entreprises japonaises à la suite de l’enseignement de Deming. Nous espérons que cette contribution au pacte de responsabilité sera utile à de nombreuses entreprises françaises.
Nous vous souhaitons une bonne et heureuse année 2016.
Retour à Pôle emploi
Le 16 octobre 2014, à la suite d’un rapport d’étude de Pôle emploi qui reconnaissait que dans certaines agences 50 % des personnes inscrites ne cherchaient pas activement un emploi, nous avons lancé sur ce blog un appel aux directeurs d’agences afin qu’ils s’inspirent de la philosophie de management de Deming.
La direction de Pôle emploi a renforcé depuis dans ses agences le contrôle de la recherche d’emploi. Cette démarche est légitime, car des opérations de contrôle font normalement partie d’une bonne gestion, mais elle semble presque impossible quand on sait qu’un seul agent devrait traiter parfois une centaine de dossiers. Rappelons que Pôle emploi, établissement public, compte environ 60.000 salariés, dont la moitié est au contact des demandeurs d’emploi. Son budget est de l’ordre de cinq millions d’euros. Pour faire face à cette situation, le « suivi mensuel personnalisé » a été remplacé en 2013 par un « suivi différencié ». Par ailleurs Pôle emploi a développé des partenariats avec des réseaux sociaux privés.
Un" think tank" libéral a même suggéré de déléguer l’acompagnement et le placement à des opérateurs privés, tandis que Pôle emploi ne conserverait que les missions d’accueil et d’indemnisation. Fort heureusement cette idée n’a pas été retenue.
Les agents de Pôle emploi tentent de se prémunir contre les effets d'un management productiviste. On peut donc comprendre que l’évocation du « management de Deming » puisse leur faire peur. Deming n’est-il pas l’homme qui a aidé les entreprises japonaises à augmenter leur productivité ? Certes, mais c’est en s’opposant aux méthodes américaines héritées de Taylor qui cherchent à augmenter la productivité par tous les moyens au mépris de la dignité humaine. « Ce livre est destiné à ceux qui vivent sous la tyrannie du style de management actuel » écrit-il dans la préface de son dernier ouvrage : Du nouveau en économie (Economica 1996).
Augmenter la productivité grâce aux techniques numériques, Pôle emploi le fait déjà avec succès au niveau national. Mais il faut penser aux nombreux demandeurs d’emploi qui n’ont pas accès à Internet. On a pu en voir récemment quelques uns en conversation avec les conseillers d’une agence Pôle emploi dans le documentaire de 78 minutes « Pôle emploi, ne quittez pas » qui a été diffusé par une chaîne de télévision. C’est un échantillon de la vie d’une agence de la région parisienne, filmé pendant plusieurs mois. Synopsis du film : « Dans un Pôle emploi du 93, quarante agents font face à quatre mille demandeurs d’emploi. Samia, Corinne, Thierry, Zuleika doivent soutenir et surveiller, faire du chiffre, obéir aux directives politiques et aux injonctions de communication, trouver du travail là où il n’y en a pas. C’est la vie d’une équipe qui a intégré l’impossible à son quotidien. »
Deming ne propose pas des méthodes extraordinaires, mais une manière inédite d’aborder les problèmes. C’est pourquoi nous lançons un nouvel appel aux directeurs des agences de Pôle emploi en leur conseillant de réfléchir à cette approche qui va souvent à l’encontre des idées reçues.
Une maladie mortelle
La méthode utilisée par les grandes entreprises françaises pour fixer individuellement les salaires se nomme « salaire au mérite ». Est-ce une bonne méthode ? Citation :
« Le salaire au mérite favorise les performances à court terme, annihile les projets à long terme, installe la crainte, démolit le travail d’équipe, alimente les rivalités et les intrigues. Elle rend les gens amers, accablés, désabusés, affligés, découragés ; elle en fait des chiens battus, les conduit parfois à la dépression nerveuse. Elle leur donne un sentiment d’infériorité, les paralyse pendant des semaines après qu’ils ont eu connaissance de leurs notes, car ils ne parviennent pas à comprendre pourquoi ils sont mal notés. C’est une méthode injuste parce qu’elle impute aux membres d’un même groupe des différences qui peuvent provenir entièrement du système dans lequel ils travaillent. »
« Ce qui est fondamentalement mauvais dans l’évaluation des performances ou le salaire au mérite, c’est que ces méthodes mettent seulement l’accent sur ce qui se trouve à la sortie du processus, en négligeant totalement l’aptitude d’un manager à aider ses subordonnés. Il ne lui reste plus qu’à gérer des défauts ; ainsi les problèmes humains sont éludés. »
« L’idée du salaire au mérite est séduisante. C’est une expression qui captive l’imagination : payez pour ce que vous recevez ; recevez pour ce que vous payez ; motivez les gens pour qu’ils fassent de leur mieux, dans leur propre intérêt. »
« L’effet est exactement à l’opposé de ce que promettent les mots. Chacun essaye de se pousser en avant dans son propre intérêt, pour sa survie. C’est l’organisation qui est perdante. Le salaire au mérite récompense les gens qui conviennent au système ; l'organisation ne reconnaît pas les tentatives faites pour l’améliorer. Ne faites pas de vagues. »
Ces mots ne datent pas d’hier ; ils ne sont pas l’expression d’un chômeur aigri, révolté par l’injustice du salaire au mérite. On les trouve dans Hors de la crise, le célèbre livre de Deming publié en 1982 par le Massachusetts Institute of Technology. Le salaire au mérite est l’une des sept maladies mortelles qui, selon Deming, affectent la société occidentale. Deming avait prévu la crise actuelle et donné les remèdes nécessaires pour l’éviter. A bon entendeur...
Un prophète
Peter Drucker, considéré par les Américains comme « le pape du management », s’est éteint aux Etats-Unis le 11 novembre 2005 à l’âge de 96 ans. Sa carrière de consultant avait commencé en 1945. Pour ce dixième anniversaire, il est bon de rappeler qui était ce prophète des temps modernes et quels furent ses liens avec Deming.
La méthode utilisée depuis plusieurs dizaines d'années par la plupart des entreprises françaises pour diriger les salariés se nomme MBO (Management By Objectives), ou en français DPO (Direction Par Objectifs). Des centaines de cabinets de conseil en management aident les entreprises à l’appliquer. Au fond, le principe de cette méthode est très simple. En résumé : « Je te donne tel objectif pour telle date, dit le chef à son subordonné. Si tu réussis, tu seras récompensé. Sinon… »
L’inventeur, le grand théoricien du MBO, c’est le fameux Peter Drucker, un Autrichien né à Vienne, naturalisé américain, qui a travaillé deux ans à Detroit auprès du PDG de General Motors, Alfred Sloan, avant d’aller enseigner le management à l’université de New-York. Après un premier livre qui a connu un gros succès en 1952, il écrivait presque chaque année un nouveau livre sur le management. Il connaissait fort bien Deming car tous deux étaient professeurs à l’université de New-York. Mais la méthode de Deming ne plaisait pas aux managers américains parce qu'elle leur demandait de réfléchir avant de donner des ordres. Au contraire la méthode de Drucker leur plaisait énormément.
Tous les Français connaissent naturellement le sympathique Michel Drucker, que l’on voit régulièrement à la télévision depuis près de cinquante ans. Mais ils n’ont guère entendu parler de Peter Drucker. Pourtant tous les Français, ou presque, connaissent le MBO pour en avoir subi les effets un jour ou l’autre.
En 1976, Peter Drucker a envoyé à Deming une lettre amusante lorsque celui-ci a quitté son poste de professeur d’université pour prendre sa retraite. Parmi les salamalecs d’usage dans une telle missive, il rend hommage à un maître. Hommage inattendu car, toute sa vie, Peter Drucker a préféré s’attirer les bonnes grâces des dirigeants américains plutôt que de suivre les conseils de Deming.
La colère des taxis
En France, comme dans la plupart des autres pays, la profession de taxi est réglementée. La société Uber, fondée en Californie en 2009, a fait irruption à Paris en 2011 avec l’intention non dissimulée de chambouler cette profession. Son activité s’est étendue ensuite à Lyon, Lille, Bordeaux, Toulouse et Nice. Sa politique commerciale est en parfait accord avec la doctrine néo libérale mise en application par Ronald Reagan à partir de 1981, puis par Margaret Thatcher à partir de 1984. Le mot d’ordre est : moins de règlements, plus de concurrence.
Plutôt que d'appeler un taxi, chacun peut utiliser l'application UberPop sur son téléphone portable afin de trouver un conducteur non professionnel (étudiant, chômeur ou retraité) qui le transportera d'un point à un autre pour un certain prix, inférieur évidemment à celui d'un taxi.
Aujourd’hui, à l’appel des syndicats, les chauffeurs de taxi font grève et bloquent la circulation dans les grandes villes qui sont la cible d'Uber pour protester contre la concurrence des conducteurs non professionnels qui travaillent pour Uber en dépit de la loi.
La première loi relative à la profession de taxi date de 1937. Elle a été remplacée par la loi du 20 janvier 1995 « relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi » et complétée par la loi Thévenoud votée en octobre 2014 qui interdit de proposer une prestation de transport routier à titre onéreux si l’on n’est pas enregistré comme chauffeur de taxi ou VTC (véhicule de transport avec chauffeur).
Selon la loi, pour exercer la profession de chauffeur de taxi, soit comme artisan, soit comme salarié, il faut remplir trois conditions : la première est de ne pas avoir fait l’objet de certaines condamnations, la seconde est d’avoir obtenu la carte professionnelle à la suite de l’examen du certificat de capacité professionnelle, la troisième est de suivre une formation continue obligatoire. Ces conditions ne sont pas remplies par les conducteurs non professionnels qui travaillent pour Uber. La colère des taxis est donc parfaitement justifiée, mais la violence avec laquelle elle s'est exprimée dans leurs manifestations est intolérable.
Quotas migratoires
Un quota est un nombre ou un pourcentage imposé à une personne ou un groupe par une autorité supérieure, avec obligation absolue de l’atteindre à une date donnée, sous peine de sanctions. Deming était défavorable aux quotas de production. Il disait que les objectifs chiffrés sont improductifs, à moins d’être accompagnés d’une méthode définie d’un commun accord entre l’employeur et l’employé. C’est le point numéro onze de ses quatorze points.
Pour faire face à un afflux massif de réfugiés en Europe, la Commission européenne a présenté le 13 mai 2015 un plan d’action qui comporte des quotas à l’immigration, pays par pays. Par exemple, la France devrait accueillir 14,17% de migrants et l’Allemagne 18,42%. Ce type de quotas est très différent de celui qui est pratiqué dans un système de production, car il s’agit là de répartir un grand nombre de réfugiés entre les pays de l’Union européenne. On peut cependant lui faire les mêmes critiques.
Sur le papier l’idée est séduisante. L’Europe est confrontée à une situation nouvelle. La Grèce et l’Italie doivent secourir, héberger, soigner et nourrir des réfugiés toujours plus nombreux chaque jour. Pour que la situation ne devienne pas intolérable, l’Europe doit faire jouer la solidarité entre tous les pays membres. La Commission a donc fixé des quotas migratoires en fonction des données sociales et économiques des différents pays. Les pays qui ne respecteront pas la règle subiront des sanctions financières.
En pratique on ne voit pas bien comment des réfugiés rassemblés dans un camp provisoire seront acheminés vers tel ou tel pays européen, ni comment ce pays va se comporter à leur égard. Certains pays préfèreront payer des sanctions plutôt que d’accueilir de nouveaux réfugiés.
Le système des quotas migratoires nous semble donc une assez mauvaise solution. Mais d’un autre côté les égoïsmes nationaux riquent de faire exploser l’Union européenne, n’en déplaise à Monsieur Pascal Lamy, ancien commissaire européen. Triste époque.
Elections
Parmi les nombreux commentaires des résultats des élections départementales de ce dimanche, on entend des représentants des partis politiques dire que « le peuple français » a choisi ses élus. C’est inexact. Les élus ont été sélectionnés au moyen d’un processus électoral compliqué qui a été mis au point par l’Assemblée nationale au terme de nombreuses tergiversations. On peut dire, bien sûr, que c’est un processus « démocratique », mais il n’est pas à l’image de la désignation du chef du village gaulois Abraracourcix, porté en triomphe sur un pavois dans la célèbre bande dessinée. C’est simplement un processus qui donne aux élus une légitimité suffisante pour gérer le département pendant six ans, jusqu’aux prochaines élections. C’est déjà énorme.
Les conseillers départementaux vont prochainement se réunir pour débattre de la meilleure façon de gérer le département. Les uns vont parler au nom d’une idéologie ; les autres vont défendre des intérêts particuliers. Nous souhaitons, sans trop y croire, qu’ils considèrent le département comme un système (voir la définition d’un système par Deming) et qu’ils vont chercher à l’améliorer pour le plus grand bien de tous.
Un peu de modestie, Mesdames et Messieurs. Vous n'êtes pas des Abraracourcix !
Un jeu dangereux
En ce moment, au sujet de la dette grecque, les ministres des finances grec et allemand se livrent à un jeu dangereux qui ressemble fort à celui du film La fureur de vivre (1955). Plusieurs adolescents s’affrontent sur un terrain vague ; deux voitures conduites par les champions de deux camps rivaux foncent l’une vers l’autre, en ligne droite. Le premier qui dévie de sa trajectoire pour éviter l’adversaire a perdu ; il est qualifié par les autres de « poule mouillée ».
En 1987, John Carlisle, un consultant britannique, a inventé un jeu de négociation sous le titre Rouge ou bleu. Dans un séminaire de management, deux camps jouent l’un contre l’autre, pour de l’argent. Trois résultats possibles : un camp gagne et l’autre perd ; ils gagnent tous les deux ; ils perdent tous les deux. Comme dans La fureur de vivre, on reconaît dans ce jeu le dilemme du prisonnier, exemple classique de la théorie des jeux. On peut le trouver sous ce titre dans notre sélection d’articles.
En 1992, des centaines de Français ont joué à Rouge ou bleu au cours des séminaires animés par Jean-Marie Gogue à l’hôtel Hilton. Une fois sur trois, les deux camps ont perdu. Heureusement, l’enjeu n’était que quelques dizaines de francs. Mais ce résultat est équivalent à la collision frontale dans La fureur de vivre : les deux conducteurs sont morts.
Quel sera le résultat du jeu dangereux auquel se livrent l'Allemand Wolfgang Schäuble et le Grec Yanis Varoufakis ? Nous le saurons bientôt.
Les économistes et le chômage
Le niveau de chômage ne pourra diminuer en France qu’à partir du moment où la croissance sera de retour, car seule la croissance permet de créer des emplois. C’est une évidence partagée par tous les économistes.
On voit donc les économistes discuter régulièrement, à la télévision, dans les journaux et sur Internet, de différents moyens susceptibles de relancer la croissance : réduire la dette publique, diminuer les taux d’intérêt, orienter l’épargne vers les investissements productifs, réduire les charges des entreprises, modifier le code du travail, etc. Tous ne sont pas d’accord sur l’utilité de tel ou tel moyen proposé, mais qu’ils soient de droite ou de gauche, tous sont d’accord sur le fait que la croissance dépend essentiellement des entreprises.
Quand les économistes cessent d’échanger des considérations théoriques pour aborder des questions pratiques, ils disent qu’une entreprise ne peut engager des salariés sous CDI que si les ventes progressent de façon durable. C’est une idée raisonnable qui traduit parfaitement le cercle vicieux dans lequel est enfermée notre économie. Pour en sortir, les économistes font confiance aux entrepreneurs et à leurs salariés. Ils pensent que grâce à des investissements productifs, avec de l’imagination et de la persévérance, une entreprise française devrait normalement trouver de nouveaux clients. C’est possible, mais face à des concurrents étrangers qui ne manquent ni d’argent, ni d’imagination, ni de persévérance, ce n’est pas certain.
Sous le titre « Le chiffre qui tue », j’ai montré l’année dernière la terrible dégringolade de notre balance du commerce extérieur, qui est passée d’un solde positif de 3,5 milliards d’euros en 2002 à un solde négatif de 67,2 milliards en 2012, soit en moyenne une chute de sept milliards par an. Or les charges qui pèsent sur les entreprises françaises n’ont pratiquement pas changé pendant cette période. Nous devons en déduire que si les entreprises françaises sont devenues moins compétitives sur le marché international, ce n’est pas en raison de contraintes externes. La seule explication possible se trouve dans le management, au sens large.
Ce n’est pas en continuant d’utiliser des méthodes de management qui ont donné de si piteux résultats qu’une entreprise peut réussir. Nous invitons donc les chefs d’entreprise et leurs collaborateurs à étudier et appliquer sans plus tarder les méthodes de Deming.
L’école laïque
Les parents peuvent choisir d’envoyer leurs enfants dans une école laïque ou dans une école confessionnelle. L’école laïque n’est pas réservée aux athées ; on y trouve également de nombreux enfants chrétiens, juifs et musulmans. Depuis 1905, conformément à la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat, l’Education nationale veille soigneusement à ce que les enseignants n’y expriment aucune opinion sur les religions. Cette règle est généralement bien respectée.
Cependant, à l’école, rien n’empêche les enfants de parler entre eux de religion en dehors des heures de cours ; il est certain que depuis le 11 janvier le sujet les intéresse particulièrement. Le brassage des cultures, qui est une particularité de notre école laïque, est, comme la langue d’Esope, la meilleure et la pire des choses. Elle peut conduire soit à une meilleure connaissance de l’autre, soit au contraire à l’isolement d’une minorité. L’évolution des mentalités dans la petite communauté formée par les élèves d’une école primaire ou d’un collège jouera nécessairement un rôle dans les sentiments de toute la société française de demain ; mais comment la contrôler ?
Jusqu’à présent, l’Education nationale faisait semblant de croire que les jeunes élèves oublient provisoirement leurs idées sur la religion quand ils franchissent le seuil d’une école laïque. Tout le monde sait que ce n’est pas vrai. Par conséquent il est urgent que l’Education nationale donne aux enseignants de nouvelles consignes et les moyens d’encadrer la réflexion des élèves sur ce point. La tâche est difficile mais nécessaire ; en particulier il faut se garder d’inciter les élèves à une sorte d’athéisme, car il ne faut pas confondre athéisme et laïcité. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Ainsi commence l’article premier de notre constitution. Par ce texte, la République française donne à tous ses citoyens la garantie formelle que l’Education nationale doit répondre à leur exigence de compréhension, qu’ils soient athées, chrétiens, juifs ou musumans.
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