William Edwards Deming est né en 1900 à Sioux City (Iowa), une petite ville du centre des Etats-Unis. Au collège, son professeur de mathématiques l'incite à prolonger ses études en dépit des faibles ressources de ses parents. C'est ainsi qu'il obtient en 1928 le diplôme de Ph.D (doctorat) à l'Université de Yale. Sa spécialité est la physique théorique.
Parmi les emplois qui lui sont proposés au sortir de l'Université, Deming choisit celui de chercheur dans un laboratoire du ministère de l'Agriculture. Il y travaille pendant dix ans à la mise au point des engrais azotés. A cette époque les rendements agricoles font des progrès fulgurants grâce à la statistique, une nouvelle science. Le ministère de l'Agriculture américain ayant fondé un institut pour former des ingénieurs agronomes, Deming y donne des cours de statistique tout en poursuivant ses travaux de recherche.
En 1939, Deming rejoint le Bureau of the Census à Washington (un organisme comparable à l'INSEE). Il y utilise ses connaissances théoriques pour mettre au point les premières enquêtes par échantillonnage, avec des techniques qui feront école dans le monde entier. Il quitte ce poste en 1946 pour devenir consultant en études statistiques et professeur de statistique à l'Université de New York.
Pendant la guerre, Deming reste à Washington pour mettre ses connaissances au service des industries d'armement. Avec son ami Walter Shewhart, un mathématicien membre de la direction technique des Bell Telephone Laboratories, il organise des séminaires de management, qui auront lieu à l'Université de Stanford, destinés à améliorer la productivité et la qualité du matériel de guerre. C'est l'aboutissement d'une étude à laquelle ils travaillaient ensemble depuis 1938. Leurs conclusions diffèrent radicalement des principes de Taylor. Plusieurs milliers d'ingénieurs et de cadres des industries d'armement sont dépêchés à Stanford pour suivre ce cours, mais le but n'est pas atteint: les directeurs américains ne s'impliquent pas ; la productivité ne s'améliore pas ; la qualité ne s'améliore pas. Néanmoins le Japon est vaincu. |
En 1947, Deming est envoyé à Tokyo comme conseiller de l'Etat-major des forces alliées pour appliquer ses techniques d'échantillonnage. Il a l'occasion de rencontrer plusieurs ingénieurs japonais qui sont proches du Keidanren, la grande fédération patronale. Ces ingénieurs, dont fait partie Kaoru Ishikawa, s'intéressent à de nouvelles théories sur le management dont ils ont entendu parler avant la guerre. Ils l'invitent à donner des cours et des conférences au Japon. Instruit par l'expérience de Stanford, il accepte, mais à la seule condition d'avoir la participation des directeurs généraux. La première conférence a lieu en juillet 1950.
L'industrie japonaise adopte aussitôt les théories de Deming sur le management, et dix ans plus tard les produits japonais commencent à déferler en Amérique. Le public américain ne s'y trompe pas: ils sont meilleurs et moins chers. C'est un tournant historique.
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Jusqu'en 1980 les théories de Deming ont été bannies des entreprises américaines, parce que leurs dirigeants restaient des adeptes inconditionnels des principes de la division du travail prônés par Taylor. C'est une journaliste américaine, Clare Crawford-Mason, qui a fait connaître Deming au grand public dans une émission de télévision intitulée : "Si le Japon peut le faire, pourquoi pas nous ?". Les patrons américains ne pouvaient plus l'ignorer. Sollicité par de nombreux PDG, Deming a commencé à donner des séminaires publics de quatre jours où il expliquait ses idées devant plusieurs centaines de participants. Le point culminant était sa célèbre expérience des billes rouges. De 1981 à 1993, il a dirigé 250 séminaires. On a calculé que le nombre de participants s'élève au chiffre impressionnant de 120.000. Il a donné aussi de nombreuses conférences dans des entreprises américaines qui ont adopté sa philosophie. Sous son influence, le style de management s'est profondément transformé en quelques années aux Etats-Unis, bien que d'immenses progrès restent à faire.
L'enseignement de Deming a pour objet le management. Contrairement à une idée reçue, son but n'était pas d'améliorer le management actuel en lui ajoutant une composante qualité, mais de le transformer de fond en comble. Au sens premier, le management consiste à mettre de l'ordre dans une maison et à faire vivre ses habitants en bonne intelligence. Dans une entreprise, le management consiste à maîtriser les processus, à coordonner les opérations et à préparer l'avenir. Deming disait que le management ne concerne pas seulement les entreprises de production et de service, mais aussi l'administration publique et l'enseignement. Depuis ses premiers séminaires au Japon, un grand nombre d'universités se sont mises à enseigner le management comme une science. Le Prix Deming est la plus haute récompense décernée à une entreprise pour son excellence dans le management.
Deming affirme que le style de management qui prévaut actuellement conduit l'économie mondiale dans une impasse parce qu'en privilégiant la concurrence et le pouvoir de l'argent il provoque d'immenses pertes, causes de misère et de chômage. L'alternative qu'il propose privilégie la connaissance, qu'il considère comme la plus importante ressource. Par conséquent la politique de l'entreprise doit être de développer la connaissance dans un climat de coopération ; elle doit se fonder sur les célèbres 14 Points de Deming.
Enfin il faut bien voir que le style de management de Deming est éminemment favorable à la cohésion sociale. La violence symbolique fait partie du style de management traditionnel. Or tous les psychologues savent que la violence subie dans la vie professionnelle - fut-elle symbolique - peut engendrer de graves troubles du comportement dans la vie privée. Par conséquent, en atténuant le climat de violence et de crainte qui sévit dans les entreprises, et qui malheureusement ne fait qu'augmenter, le style de management de Deming contribue à l'amélioration des relations humaines dans la cité.
De nombreuses personnalités venues du monde entier ont assisté à ses funérailles à Washington en décembre 1993. L'association japonaise qui a fondé le Prix Deming, la JUSE, a publié un compte-rendu de la cérémonie en janvier 1994 dans un numéro spécial de son magazine Societas Qualitatis. |